Ce qui trouble c'est son regard, parce qu'on se demande ce qu'il regarde. Comme il est de face normalement c'est vous, spectateur, témoin, opérateur - mais vous ne pouvez pas croire cela : vous savez bien, dans l'ombre où vous vous tenez, qu'il ne vous voit pas, et que d'ailleurs vous ne saurez susciter à première vue un regard d'une telle intensité -, qui êtes vous, anonyme, pour être à ce point désiré ? Car ce qui frappe dans ce regard, ce qui sidère, c'est qu'il est comblé, totalement et mystérieusement ravi par un chose invisible à vos yeux, et , d'une certaine manière, aux siens : tourné vers vous, il faut face à l'espace vide laissé entre lui et vous, l'ombre de vous. Il n'y a donc pas d'objet dans le champ de son regard, c'est un regard comblé de quelque chose qu'il regarde sans le voir, d'une chose absente. Et pourtant non, c'est impossible : l'absence ne peut donner vie à un tel regard. Il faut qu'une forme nécessaurement l'explique, qu'une image splendide en justifie l'extase.
Extrait de "Ni toi ni moi" de Camille Laurens.
Un jour je serai là.
Photo by me.
1000 bises Mymy.